28 Mars 2023, voilà quinze jours que je suis à bord du Manguier. Cet ancien remorqueur transformé en lieu de résidence pour artiste mouille dans le golf au sud de l'île d'Aasiaat à l'Ouest du Groenland, au sud de la baie de Disko. 
Hier, en revenant d'un village situé à cinq heures de marche du bateau, je passe devant un énorme iceberg.          Je n’avais encore jamais vu un aussi gros depuis mon arrivée au Groenland. 
Le soir, dans ma couchette, je repense à cet iceberg, à son image et à sa forte présence dans l'espace. Il trône et impose son volume au milieu de cette immense plaine de glace. 
Et bien voilà maintenant, je sais ce que vais faire, j’en suis même sûr, me dis-je. Je vais marquer un message sur ce gros bout de glace, symbole et icône du réchauffement climatique. J’ai emporté dans ma valise une bombe de marquage forestier. Je sais enfin à quoi elle va servir !
Le lendemain matin au réveil, je suis enchanté et tout excité à l'idée d'aller taguer l’intéressé ! Mais en en parlant au capitaine pendant le petit déjeuner, il m'avertit que l'iceberg peut se retourner si je m'en approche, que la glace est fragile et peu épaisse cette année et qu'il ne veut, en aucun cas, être tenu pour responsable d'un accident pendant ma résidence. La tristesse, l'énervement et la frustration m'envahissent alors. La limite de mon art ne serait pas comme     je le pensais le grand froid de l'arctique mais l’humain.
"Sinon, tu peux m'attacher avec une corde à ta motoneige au cas où ?! "dis-je au capitaine.                                              Il ne me répond pas. Je le comprends. 
Je décide alors de retourner voir l'iceberg, simplement pour le photographier à distance. Et comme pour me rassurer, je prends ma bombe de peinture dans mon sac. Flavio Stroppini, un autre artiste en résidence, auteur et metteur en scène de pièces de théâtre et de drames radiophoniques pour la radio télévision Suisse, souhaite m'accompagner. Je suis enchanté de sa présence pour cette mission. 
Nous partons donc munis de notre tuk (grand bâton à l'embout métallique servant à tester l'épaisseur de la glace) à la rencontre du fameux iceberg. Il se situe à l'autre bout de l’île, à deux heures de marche en direction du Nord-Est.
Durant notre marche et sous un ciel bleu sans nuages, Flavio me dit d'un ton malicieux et avec un grand sourire :          "On sait tous les deux que tu vas le faire !", comme pour me convaincre de mon futur acte.                                         
Nous finissons par arriver devant la grosse bête. Je commence à photographier l'iceberg à cent mètres. Puis quatre-vingts, puis cinquante, puis trente. Je ne suis plus qu'à quelques mètres de l'œuvre que j'ai imaginée. 
Au même moment, une skieuse de fond qui nous a repérés de loin, vient à notre rencontre. Ce qui est très rare en ces lieux. Je lui demande si elle pense que s'approcher de l'iceberg est dangereux. Elle me répond que cela peut bien se passer comme très mal finir.
Flavio, lui, décide de l'interviewer.
Sa phrase "cela peut bien se passer" résonne dans ma tête. Je me dis qu'après tout, je ne suis pas venu jusqu'ici sur cette banquise pour rester planté là, à trente mètres de mon sujet.
Je sens monter en moi une poussée d'adrénaline. Je décide alors de me lancer et d’aller à la rencontre frontale de cet iceberg, sans connaître encore exactement la nature du message qu'il portera. Ce que je sais, c'est que je suis là pour parler climat. 

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